Jeunes pianistes pour Schubert, et un moins jeune

Rudolf Serkin
[vc_row][vc_column][vc_column_text] Combien d’énergie et de résolution il faut pour se vouloir musicien classique, et s’imposer comme tel, dans un monde de plus en plus voué à la consommation désinvolte, vite blasée ! La musique, naguère encore, il fallait la mériter (toujours), et la chercher (souvent). Aujourd’hui plus personne n’est nécessaire. On tapote son ordinateur, puis on zappe. Pourtant, bien parrainé, tel jeune aura sa chance. La curiosité demeure, côté public : mais elle va à l’actualité, à l’effet de nouveauté que toute jeunesse porte avec soi. La jeunesse et la nouveauté étant précaires l’une comme l’autre, il faut se dépêcher de marquer sa trace. Guillaume Bellom n’est qu’un dans une formidable génération de jeunes pianistes français. Heureusement parrainé, il a paru, et il a brillé. En résulte un CD qui ouvre, pas moins, par le molto moderato de la grande sol majeur de Schubert : miracle d’à la fois fluidité, et consistance. Plus d’un quart d’heure de musique qu’il va falloir, malgré la facilité et l’évidence qui sont comme la signature de Schubert, construire ; ne pas exécuter des seuls doigts, mais porter de son souffle. Live, en direct, cela s’opère sous nos yeux ; on voudrait l’avoir à soi, le répéter : que la trace reste, pareille. Le disque n’est pas seulement précieuse carte de visite, il est signe que ce qu’on a entendu une fois était porteur d’immortalité. Mais la nouveauté n’y sera plus, ni l’actualité du risque pris, qu’on partageait haletant. Dans l’intemporalité qu’il s’est acquise, le...

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Combien d’énergie et de résolution il faut pour se vouloir musicien classique, et s’imposer comme tel, dans un monde de plus en plus voué à la consommation désinvolte, vite blasée ! La musique, naguère encore, il fallait la mériter (toujours), et la chercher (souvent). Aujourd’hui plus personne n’est nécessaire. On tapote son ordinateur, puis on zappe. Pourtant, bien parrainé, tel jeune aura sa chance. La curiosité demeure, côté public : mais elle va à l’actualité, à l’effet de nouveauté que toute jeunesse porte avec soi. La jeunesse et la nouveauté étant précaires l’une comme l’autre, il faut se dépêcher de marquer sa trace. Guillaume Bellom n’est qu’un dans une formidable génération de jeunes pianistes français. Heureusement parrainé, il a paru, et il a brillé. En résulte un CD qui ouvre, pas moins, par le molto moderato de la grande sol majeur de Schubert : miracle d’à la fois fluidité, et consistance. Plus d’un quart d’heure de musique qu’il va falloir, malgré la facilité et l’évidence qui sont comme la signature de Schubert, construire ; ne pas exécuter des seuls doigts, mais porter de son souffle. Live, en direct, cela s’opère sous nos yeux ; on voudrait l’avoir à soi, le répéter : que la trace reste, pareille. Le disque n’est pas seulement précieuse carte de visite, il est signe que ce qu’on a entendu une fois était porteur d’immortalité. Mais la nouveauté n’y sera plus, ni l’actualité du risque pris, qu’on partageait haletant. Dans l’intemporalité qu’il s’est acquise, le disque du jeune champion n’est plus qu’un entre cent autres. C’est très injuste, mais ni plus ni moins que la jeunesse et la nouveauté, inégalités de fait, que le moment qui suit va périmer. À tous ces jeunes champions il faut une foi chevillée à l’âme, et aussi la chance (injuste) d’avoir été repérés, parrainés. Ils ne prétendent pas à l’éternité, n’en demandent pas tant. Ils ont seulement besoin qu’une reconnaissance venue du public les encourage à persister. Ils sont les missionnaires des Muses. Ce sont eux qui vont faire que demain, après demain (l’échéance n’est pas si loin) la musique soit portée là où cent personnes, ou dix seulement, seront réunies pour se taire ensemble, écouter Schubert, et être heureux une heure. Gstaad donnait un coup de projecteur sur Guillaume Bellom. Deauville l’a fait pour Ismael Margain, autre jeune dont le CD ouvre, lui, sur les quasi vingt minutes, le molto moderato (aussi) de la sublime ultime, la D 960. Saintes témérités : les Schubert les plus essentiels assumés par une jeunesse qui ne baisse pas les yeux devant l’Himalaya du piano ! À la rentrée Lucas Debargue, à peine leur aîné, à la fois si individuel et si tard parti, mais si mûr, si réfléchi, à côté d’une sonate de Szymanowski, nous offrira les « petites » de Schubert, la mineur et la majeur, évidentes certes, mais qui exigent une humble et adulte simplicité!

Mais à la rentrée nous aurons aussi, réuni (enfin) par Sony, tout de Serkin au disque, lui pour qui des magnétophones tournaient sans relâche dans sa maison tout près de Marlboro, prêts à capter son travail de la nuit. Lui le premier, en 1950 environ, mettait au microsillon la vérité de Schubert, amère, austère, exigeante, sous le sourire lumineux qui la transfigure. Reliquie, Moments Musicaux, il allait lentement, mesurait ses pas. On ne zappait pas, alors ! Ont suivi la D 960, la D 959 aussi, avec dans son andantino une marche à l’abîme, une fissure cosmique, comme si Isaïe était en marche à côté de Schubert. Enfin les Impromptus D 954, dont le premier est poignant comme rien d’autre en musique ; la difficulté et la douleur d’être homme, sans se forcer, s’y font sourire et solitude partagée, consolation… Dans l’intemporalité où le disque les fait tous contemporains, également actuels et inactuels, que pèseront Margain, Bellom, Debargue ? Ecoutons les pourtant (étant entendu que nous nous précipiterons tous de retrouver Serkin, et son Mozart aussi, et son Beethoven). Ce sont eux qui dans le monde de demain, de plus en plus sourd aux Muses, crieront et crieront, quand même. Faisons que ce ne soit pas dans le désert.

André Tubeuf

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