Musée de l’Ariana – Fang Lijun, magie de l’accident

08.09.2013
Porcelaine
142 x 116 x 80 cm
Collection particulière
© Photo : Studio Fang Lijun
08.09.2013 Porcelaine 142 x 116 x 80 cm Collection particulière © Photo : Studio Fang Lijun
Les transporteurs sont terrifiés. Le public inévitablement fasciné. Figées en plein collapse, les  diaphanes murailles en porcelaine de l'artiste chinois poussent le matériau dans ses limites extrêmes. Poudrées comme des loukoums ou laquées comme des bonbons, ces briques blanches ou roses empilées dans des cubes donnent irrésistiblement envie de toucher, caresser, au risque de transpercer leur insensée fragilité. Mais l'accident est déjà là, au cœur même du processus créatif qui livre les compositions au feu du four. Privés de leurs noyaux de polystyrène désagrégés par la chaleur, les modules vides ne sont plus que des parois diaphanes comme des coquilles d'œuf. Les sculptures se déchirent, s'affaissent, explosent avant de se figer dans un souffle dont on ne sait s'il parle de vie ou de mort. Parfois, l'artiste jusqu'au-boutiste n'amoncelle que des arêtes de briques, porte à ses extrêmes la précarité du matériau pour repousser encore le point critique inconnu entre destruction et survie. Une dynamique à l'image de la vie, de la société, du destin de l'œuvre. 08.09.2013Porcelaine142 x 116 x 80 cmCollection particulière© Photo : Studio Fang Lijun Symbole supplémentaire de cette notion d'aléatoire,  les pièces, qu'elles soient monumentales ou de petite taille, sont livrées sans protection au regard et au temps. Pas de cloches de verre contre les poussières ni de balayage de ces résidus de matière et traces de brûlures qui font partie intégrante de l'œuvre. Tout comme ces incontrôlables coulées d'émail rouge immiscées dans les fissures de ces "Espaces interdits" qui donnent...

Les transporteurs sont terrifiés. Le public inévitablement fasciné. Figées en plein collapse, les  diaphanes murailles en porcelaine de l’artiste chinois poussent le matériau dans ses limites extrêmes.

Poudrées comme des loukoums ou laquées comme des bonbons, ces briques blanches ou roses empilées dans des cubes donnent irrésistiblement envie de toucher, caresser, au risque de transpercer leur insensée fragilité. Mais l’accident est déjà là, au cœur même du processus créatif qui livre les compositions au feu du four. Privés de leurs noyaux de polystyrène désagrégés par la chaleur, les modules vides ne sont plus que des parois diaphanes comme des coquilles d’œuf. Les sculptures se déchirent, s’affaissent, explosent avant de se figer dans un souffle dont on ne sait s’il parle de vie ou de mort. Parfois, l’artiste jusqu’au-boutiste n’amoncelle que des arêtes de briques, porte à ses extrêmes la précarité du matériau pour repousser encore le point critique inconnu entre destruction et survie. Une dynamique à l’image de la vie, de la société, du destin de l’œuvre.

08.09.2013 Porcelaine 142 x 116 x 80 cm Collection particulière © Photo : Studio Fang Lijun
08.09.2013
Porcelaine
142 x 116 x 80 cm
Collection particulière
© Photo : Studio Fang Lijun

Symbole supplémentaire de cette notion d’aléatoire,  les pièces, qu’elles soient monumentales ou de petite taille, sont livrées sans protection au regard et au temps. Pas de cloches de verre contre les poussières ni de balayage de ces résidus de matière et traces de brûlures qui font partie intégrante de l’œuvre. Tout comme ces incontrôlables coulées d’émail rouge immiscées dans les fissures de ces « Espaces interdits » qui donnent le titre de l’exposition.

Ce sont les pièces les plus récentes de Fang Lijun, l’un des plus célèbres artistes chinois depuis le début des années quatre-vingt-dix. De cet homme né en 1963, chacun connaît ses grossses têtes hilares au crâne rasé, clonées, la bouche ouverte en un cri dont on ne sait s’ils expriment l’angoisse ou la révolte. Des personnages, isolés ou en grappes humaines, qui ne sont toujours que lui-même, à l’instar de ses derniers bustes tourmentés, un peu comme si ses peintures s’essayaient  à la troisième dimension.

Un artiste à part

« Au début, en 2013, la céramique, il n’y croyait pas vraiment. Je l’ai encouragé à continuer » raconte Pierre Huber, instigateur de l’exposition monographique de l’Ariana. « Je suis assez critique avec les artistes, cela fait avancer les choses ». Le galeriste genevois s’est investi tôt dans l’art contemporain chinois. En 2007,  il créait la Foire d’art de Shanghai  – SH Contemporary – et y mettait en exergue l’artiste qu’il suit depuis plus de vingt ans. Au nombre des premiers indépendants réunis dans le « Barbizon »pékinois, Fang Lijun s’imposera comme la figure de proue du Réalisme cynique, ce mouvement né au lendemain du massacre de Tiananmen. Puis tout s’est emballé. Partie de rien, la Chine, victime du boom spéculatif mondial, allait vite se laisser installer dans un moule très circonstancié.  Face au panorama aussi lisse que banal présenté au Centre Pompidou en 2003 (« Alors, la Chine? »), les critiques sont grinçantes, tandis que les promoteurs artistiques bâtissent une autoroute aux courants les plus porteurs, le Political Pop art et le Réalisme cynique. De quoi borner notre perception de la créativité  chinoise et essouffler les ardeurs. « Tout est allé trop vite, dit Pierre Huber, il faut maintenant laisser à ces artistes le temps de se construire. Aujourd’hui, une évolution passionnnante est en cours ». Fang Lijun, lui, ne s’est pas contenté de surfer sur la vague. « Malgré sa célébrité et sa cote toujours grimpante, il est de cette génération sans repères qui avance à son propre rythme. C’est un penseur, un philosophe doublé d’un épicurien qui ne se soucie ni des modes ni du marché de l’art. Il est dans son monde, ne court pas les expositions, fuit les influences ».

Retour à la terre

S’il allie dans sa peinture, ses dessins et gravures un style très personnel à des techniques très anciennes, son immersion récente dans l’univers de la céramique rejoint un art millénaire. Comme tous les artistes chinois de son temps, Fang Lijun a reçu les cours académiques comprenant de nombreuses disciplines. L’étudiant obtiendra en parallèle son diplôme de céramiste à la Hebei School of Light Industry, à Tangshan. Vingt ans plus tard, appelé en qualité de professeur invité à l’Université de Jingdezhen, capitale historique de la céramique, le contact avec la matière va sonner comme un rappel. Il se prend au jeu, s’enthousiasme pour l’exploration de ce matériau infiniment exigeant et voyage désormais entre son atelier de peinture pékinois et son monde de fragilité installé dans cette ville du sud-est. Serait-ce parce qu’il est né à Handan, berceau des fours de la dynastie Song ?  » la céramique, dit-il, me semble la pratique la plus naturelle qui soit ». Avec l’ensemble des  medium et matériaux qu’il utilise, l’artiste, c’est sûr, éprouve un grand sentiment de liberté artistique. « J’affectionne de développer le même thème par le truchement de différents langages, comme différents statuts de ma propre vie ».

 Défi d’abstraction

Ces cubes représentent-ils une forme de prison intérieure, une explosion d’indépendance? Evoqueraient-ils la Grande Muraille, les murs de la Cité interdite ? Si jamais, la critique politique est subtile. On n’a pas affaire à un Ai Weiwei, dissident iconoclaste, mais à un homme qui n’a jamais eu à provoquer pour exprimer ses questionnements. « Nageant à contre-courant du goût qui dirige actuellement le marché de l’art, Fang Lijun n’hésite pas à se lancer, à monter en premier ligne avec un nouveau mode d’expression qui semble en complète opposition avec les précédents: non figuratif, proche de l’abstraction, tridimensionnel, note la directrice de l’Ariana, Isabelle Naef Galuba. C’est « le courage de la goutte d’eau, celle qui ose tomber dans le désert » (Lao She) ». Une goutte d’eau pour le moins saisissante.

Pour donner une vision d’ensemble de l’artiste, l’exposition est complétée par de remarquables travaux sur papier, ainsi que quelques peintures, dont deux réalisées pour l’événement. Quant aux briques, on les retrouve dans son premier paysage au crayon de 1988.

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« Fang Lijun, Espaces interdits »

Jusqu’au 2 avril 2017

Musée de l’Ariana, 10, avenue de la Paix, Genève

www.ariana-geneve.ch

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