L’AMOUR EN SON HÔTEL

header_01
LA JEUNESSE DE L’ART Benoît Dauvergne, Jeune écrivain et critique d’art On fête François Boucher à l’hôtel de Donon, et comment ! les cartons et les affiches annoncent «L’Empire des sens»… (C’est l’un des attraits du Marais, ce morceau de Paris situé entre la Bastille et Beaubourg – Est-Ouest – et entre le Cirque d’Hiver et l’île Saint-Louis – Nord-Sud, d’offrir au flâneur heureux maints hôtels particuliers, non seulement à contempler depuis la rue – comme au Faubourg Saint-Germain –, mais à fréquenter : hôtel Salé, devenu Musée Picasso ; hôtel de Lamoignon, devenu Bibliothèque historique de la Ville de Paris ; hôtels Carnavalet et Le Peletier de Saint-Fargeau devenus ensemble – chevauchant un lycée – Musée d’Histoire de la Ville de Paris ; hôtel de Marle, devenu Institut suédois… Et aussi donc cet hôtel de Donon, aujourd’hui Musée Cognac-Jay, du nom des collectionneurs-donateurs qui permirent de faire de cette bâtisse datant de la fin du XVIe siècle le musée parisien dédié à l’art du siècle de Voltaire.) Rendez-vous 8 rue Elzévir. L’exposition centrée sur l’un des grands peintres du XVIIIe siècle, montrant aussi des toiles de certains de ses meilleurs confrères, Gabriel de Saint-Aubin, Greuze, Fragonard…, est une véritable Carte de Tendre, mais à coup sûr plus tropicale que l’originale. D’une salle ombragée à la suivante – il y a des impasses et des semblants d’impasses –, d’un étage à l’autre, degré après degré, le visiteur admire et grimpe une Montagne d’Amour où thèmes et formes s’annoncent et reviennent,...

LA JEUNESSE DE L’ART

Benoît Dauvergne, Jeune écrivain et critique d’art

On fête François Boucher à l’hôtel de Donon, et comment ! les cartons et les affiches annoncent «L’Empire des sens»… (C’est l’un des attraits du Marais, ce morceau de Paris situé entre la Bastille et Beaubourg – Est-Ouest – et entre le Cirque d’Hiver et l’île Saint-Louis – Nord-Sud, d’offrir au flâneur heureux maints hôtels particuliers, non seulement à contempler depuis la rue – comme au Faubourg Saint-Germain –, mais à fréquenter : hôtel Salé, devenu Musée Picasso ; hôtel de Lamoignon, devenu Bibliothèque historique de la Ville de Paris ; hôtels Carnavalet et Le Peletier de Saint-Fargeau devenus ensemble – chevauchant un lycée – Musée d’Histoire de la Ville de Paris ; hôtel de Marle, devenu Institut suédois… Et aussi donc cet hôtel de Donon, aujourd’hui Musée Cognac-Jay, du nom des collectionneurs-donateurs qui permirent de faire de cette bâtisse datant de la fin du XVIe siècle le musée parisien dédié à l’art du siècle de Voltaire.) Rendez-vous 8 rue Elzévir. L’exposition centrée sur l’un des grands peintres du XVIIIe siècle, montrant aussi des toiles de certains de ses meilleurs confrères, Gabriel de Saint-Aubin, Greuze, Fragonard…, est une véritable Carte de Tendre, mais à coup sûr plus tropicale que l’originale. D’une salle ombragée à la suivante – il y a des impasses et des semblants d’impasses –, d’un étage à l’autre, degré après degré, le visiteur admire et grimpe une Montagne d’Amour où thèmes et formes s’annoncent et reviennent, se poursuivent et se complètent jusqu’au sommet rond, ou escarpé, d’où il faudra bien redescendre. Car qui ne revient de Cythère, l’île de Vénus ? Watteau, qui peignit deux Pèlerinages à Cythère et dont Boucher grava certaines œuvres à ses débuts, est évoqué dans la première salle, où l’on goûte en particulier son inoubliable Jugement de Pâris: vexant Minerve et Junon, le prince troyen choisit Vénus, figurée ici de dos, en train d’enlever sa tunique (sa chemise?) (elle n’a plus rien d’autre) ; Boucher, qui devint le grand peintre des fesses féminines – forcément découvertes, posées sur un sofa ou flottant dans les flots, de vraies pêches –, dut être marqué par ce tableautin de Watteau, le grand peintre des nuques, et des dos enveloppés dans des robes chatoyantes.

Plus nous avançons dans cette exposition, qui nous rappelle à quel point la touche est reine au siècle de Rameau – au point que l’on comparerait volontiers toute la surface de tel ou tel tableau de Fragonard à un beau drap froissé –, plus nous y voyons de prises, plus les murmures enflent, jusqu’à découvrir l’acmé du parcours : l’Hercule et Omphale de Boucher, venu de Moscou, prêté par le Musée Pouchkine. Oubliez tout ce que vous savez de ce sujet jadis illustré par Cranach et Rubens ; point de héros lénifié ici, mais un corps à corps où le fils de Zeus et la reine de Lydie semblent jouer à armes égales, pour leur seul plaisir. Vit-on jamais en peinture baiser plus goulu, sein plus encagé par des doigts, chevilles d’homme et de femme plus tendues de plaisir ? Et dire que l’on croyait connaître Boucher, metteur en scène de putti et de blondins innocents… Mais le plaisir et l’extase ne sont pas toujours partagés de la sorte, tant s’en faut, et c’est l’un des grands mérites de cette exposition, et belle, et intelligente, d’évoquer l’équivoque et même la question, ô combien d’actualité ! du consentement. En fouillant d’un regard assez vite lassé, il est vrai, les vitrines de cette espèce de supplément de l’exposition, un «cabinet secret » digne de celui du Musée archéologique de Naples, on garde surtout en tête les yeux lourds de cette figure de Greuze vue précédemment, esquisse de sa célèbre Cruche cassée qui appartint à Madame du Barry, et dont une reproduction en ronde-bosse orne la tombe du peintre au cimetière de Montmartre : ce qu’Intérieur de Degas semblera clamer cent ans plus tard, au point que cette toile est aussi appelée Le Viol, Greuze le dit avec la retenue infiniment raffinée et pleine d’éloquence d’un Mozart, en un temps fiévreux qui encensa l’amour, les sens, la nature…, et rechercha la justice.

Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed