L’ART COMME PASSION : L’EXTRAORDINAIRE COLLECTION D’HERMANN ET MARGRIT RUPF

Paul Klee (1879-1940)
Vollmond im Garten, 1934
Huile sur toile, 50,3 x 60,1 cm
Hermann und Margrit RupfStiftung,
Kunstmuseum Bern
© Paul Klee’s Estate/VEGAP, 2016
Paul Klee (1879-1940) Vollmond im Garten, 1934 Huile sur toile, 50,3 x 60,1 cm Hermann und Margrit RupfStiftung, Kunstmuseum Bern © Paul Klee’s Estate/VEGAP, 2016
La mode est décidément aux expositions dédiées aux collectionneurs. Le Musée Guggenheim de Bilbao dévoile ainsi l’extraordinaire fonds rassemblé par le couple suisse Hermann et Margrit Rupf. Un enchantement visuel… Par Bérénice Geoffroy-Schneiter Paul Klee (1879-1940)Vollmond im Garten, 1934Huile sur toile, 50,3 x 60,1 cmHermann und Margrit RupfStiftung,Kunstmuseum Bern© Paul Klee’s Estate/VEGAP, 2016 Comme souvent dans la vie, la petite histoire rencontre la grande Histoire. Si le jeune bernois Hermann Rupf n’avait pas rencontré Daniel-Henry Kahnweiler pendant ses études à la Commerz-und Disconto-Bank de Francfort et si les deux jeunes gens n’avaient pas resserré leurs liens d’amitié à Paris, l’une des plus importantes collections suisses d’art moderne n’aurait certainement pas vu le jour ! Et cela eût été bien dommage tant la sélection des Picasso, Braque, Léger, Klee et Kandinsky présentée au Musée Guggenheim de Bilbao a de quoi donner le vertige ! Dialoguant entre eux sur les larges cimaises du musée espagnol, ces chefs-d’œuvre incontestables de l’art moderne reflètent en outre tout un pan de la création artistique et de l’histoire du goût de ce début du XXe siècle. Petit retour en arrière… Tandis que Daniel-Henry Kanhweiler décide de parfaire sa formation commerciale auprès d’un courtier en Bourse entre 1902 et 1904, Hermann Rupf, quant à lui, entre en apprentissage chez Jacques Meyer & Cie, l’ancêtre des Galeries Lafayette. Plongés dans les courbes des chiffres et des bilans, les deux jeunes gens ne dédaignent pas pour autant de goûter aux charmes de la vie parisienne. On les voit ainsi fréquenter...

La mode est décidément aux expositions dédiées aux collectionneurs. Le Musée Guggenheim de Bilbao dévoile ainsi l’extraordinaire fonds rassemblé par le couple suisse Hermann et Margrit Rupf. Un enchantement visuel…

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter

Paul Klee (1879-1940) Vollmond im Garten, 1934 Huile sur toile, 50,3 x 60,1 cm Hermann und Margrit RupfStiftung, Kunstmuseum Bern © Paul Klee’s Estate/VEGAP, 2016
Paul Klee (1879-1940)
Vollmond im Garten, 1934
Huile sur toile, 50,3 x 60,1 cm
Hermann und Margrit RupfStiftung,
Kunstmuseum Bern
© Paul Klee’s Estate/VEGAP, 2016

Comme souvent dans la vie, la petite histoire rencontre la grande Histoire. Si le jeune bernois Hermann Rupf n’avait pas rencontré Daniel-Henry Kahnweiler pendant ses études à la Commerz-und Disconto-Bank de Francfort et si les deux jeunes gens n’avaient pas resserré leurs liens d’amitié à Paris, l’une des plus importantes collections suisses d’art moderne n’aurait certainement pas vu le jour ! Et cela eût été bien dommage tant la sélection des Picasso, Braque, Léger, Klee et Kandinsky présentée au Musée Guggenheim de Bilbao a de quoi donner le vertige ! Dialoguant entre eux sur les larges cimaises du musée espagnol, ces chefs-d’œuvre incontestables de l’art moderne reflètent en outre tout un pan de la création artistique et de l’histoire du goût de ce début du XXe siècle.

Petit retour en arrière… Tandis que Daniel-Henry Kanhweiler décide de parfaire sa formation commerciale auprès d’un courtier en Bourse entre 1902 et 1904, Hermann Rupf, quant à lui, entre en apprentissage chez Jacques Meyer & Cie, l’ancêtre des Galeries Lafayette. Plongés dans les courbes des chiffres et des bilans, les deux jeunes gens ne dédaignent pas pour autant de goûter aux charmes de la vie parisienne. On les voit ainsi fréquenter assidûment les salles de concert et les théâtres, mais aussi les expositions et les musées. Véritable encyclopédie de l’art ancien et de l’art moderne, le Louvre devient leur « seconde maison ». De la contemplation des chefs-d’œuvre comme de la visite des derniers Salons, les deux compères tirent un immense profit : ils parachèvent leur éducation en même temps qu’ils se font l’œil. On connaît la suite… L’un comptera parmi les marchands d’art les plus influents du siècle dernier, l’autre deviendra un collectionneur exceptionnel dont les toiles sont désormais exposées à Berne, dans la fondation qui porte son nom.

Mais ce qui frappe d’emblée le regard du visiteur au seuil de cette magistrale exposition, c’est bien la pertinence et la cohérence des choix effectués par Hermann Rupf. Ici point d’afféteries, encore moins de « butinage » pictural. La sélection apparaît rigoureuse, drastique même, ponctuée de séries qui composent de véritables « petits musées dans le musée ». Ici, l’on admire des Picasso de la période cubiste la plus radicale (les mêmes que ceux que collectionnait Sergueï Chtchoukine et que l’on vient d’admirer à la Fondation Louis Vuitton, à Paris) ; là, apparaissent des Juan Gris et des Léger tout aussi ambitieux ; Ailleurs, l’on découvre des Klee d’une poésie onirique à vous couper le souffle. Une question taraude cependant l’esprit du visiteur : comment expliquer chez cet « apprenti-collectionneur » de telles audaces, de telles fulgurances ? Il est clair qu’on ne saurait sous-estimer l’influence considérable que Daniel-Henry Kanhweiler dut avoir sur son condisciple. L’ombre de la prestigieuse galerie parisienne plane en effet sur bien des achats réalisés par le jeune Hermann Rupf…

De retour en 1905 dans sa Berne natale pour entrer dans le négoce de mercerie et de passementerie de son beau-frère, Ruedi Hossmann (avec lequel il ne tardera pas à s’associer en 1908), le jeune Suisse n’a pas oublié en effet sa découverte des avant-gardes parisiennes en compagnie de son ami marchand, avec lequel il ne cesse d’entretenir une correspondance nourrie. Profitant de ses déplacements professionnels dans la capitale française, Hermann Rupf ne manque ainsi jamais une occasion de pousser la porte de la galerie de Daniel-Henry Kanhweiler et de découvrir avec émerveillement les artistes qu’il défend. Mieux, il lui arrive même parfois d’accompagner son ami lors de ses visites dans les ateliers, là même où s’invente l’art du XXe siècle ! Parmi ses premiers achats les plus importants, figure ainsi la magistrale Tête d’homme de Picasso de 1908, d’une facture brutale, dans laquelle on devine la fascination du maître espagnol pour la force sauvage de l’art africain. On le voit la même année acquérir un autre chef-d’œuvre : Maisons à l’Estaque de Georges Braque, que l’artiste vient tout juste d’achever dans le Sud de la France, en prévision de sa première grande exposition dans la galerie Kanhweiler.

La décennie suivante va offrir à Hermann Rupf l’occasion d’étoffer sa collection par d’autres toiles cubistes de tout premier ordre : Paysage de 1908 de Picasso, Violon et archet de 1911 de Georges Braque… Il est d’ailleurs assez piquant de constater les emprunts circulant d’une toile à l’autre, de deviner l’émulation entre les artistes, tous deux influencés par le grand Cézanne.

La Première Guerre mondiale va cependant interrompre brutalement cette atmosphère euphorique. Loin de s’éteindre, l’amitié entre les deux hommes n’en sera que plus forte. Invité par le couple Rupf, Daniel-Henry Kanhweiler quitte ainsi Paris pour Berne, où il séjournera jusqu’à la fin du conflit. Le marchand profite alors de son exil pour rédiger plusieurs textes de philosophie ainsi que des traités sur l’art, tout en se liant avec le sculpteur Hans Arp, installé à Zurich…

Les années d’après-guerre n’en seront pas moins stimulantes et fécondes. Là encore, les achats réalisés par Hermann Rupf se font dans le sillage même de la création des œuvres. Non content d’étoffer sa collection de toiles de Juan Gris ou de Fernand Léger, mais aussi de sculptures d’Henri Laurens, le couple de collectionneurs bernois tisse de profonds liens d’amitié avec Paul Klee et son épouse Lily. Hermann et Margrit Rupf assureront d’ailleurs de leur soutien tant affectif que financier l’artiste lorsqu’il sera contraint de démissionner de la belle aventure du Bauhaus et que ses compositions musicales et abstraites seront jugées par les nazis comme de l’« art dégénéré ». L’exposition de Bilbao rassemble ainsi quelques-unes des plus belles toiles de Paul Klee, tel Gebirge im Winter (« Montagnes en hiver ») de 1925, d’une beauté lunaire et sépulcrale, ou bien encore Vollmond im Garten (« Pleine lune dans un jardin ») de 1934, aux accents quasi psychédéliques…

L’autre grande « rencontre » d’Hermann Rupf sera, sans conteste, l’amitié qu’il nouera avec Vassily Kandinsky et son épouse Nina. En témoignage de sa gratitude envers son « conseiller financier suisse », le peintre russe lui offrira d’ailleurs l’une de ses aquarelles les plus poétiques : Klangvoll (« Son sonore ») de 1929. Ce n’est pourtant pas sans certaines difficultés que le couple Rupf parviendra à acquérir seize toiles de l’artiste. Parmi celles-ci, le visiteur de Bilbao peut admirer à loisir cette petite aquarelle de 1916, lyrique à souhait…

S’ils ont constitué une collection d’exception, Hermann et Margrit Rupf ont dans le même temps stimulé la création, tout en se montrant les mécènes généreux et actifs de nombreux artistes, savants et musiciens de Berne. Ils ont été aussi les premiers collectionneurs privés suisses à avoir porté leur attention sur l’art abstrait. Soucieux de transmettre sa passion aux générations futures, le couple bernois a donc décidé, en 1954, de céder ses œuvres – quelque deux cent cinquante pièces auxquelles s’ajoutent de nombreux livres d’art – en qualité de Fondation au Kunstmuseum de Berne.

Depuis sa création, la Fondation Hermann et Margrit Rupf se fait fort de perpétuer l’esprit et l’audace de ceux qui présidèrent à la formation de cette exceptionnelle collection. Non contente de s’ouvrir à la scène contemporaine (Lucio Fontana, James Turrell, le Groupe ZERO…), elle multiplie ainsi à travers le monde les expositions et les publications. En ces temps troublés, l’art n’est-il pas le meilleur élixir de l’âme ? C’était, assurément, l’intime conviction d’Hermann et Margrit Rupf…

 

À voir : La Collection d’Hermann et Margrit Rupf, jusqu’au 23 avril 2017, Musée Guggenheim de Bilbao, www.guggenheim-bilbao.es

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