« LA LUTTE DES CLASSES », DRÔLE DE PORTRAIT D’UNE FRANCE D’AUJOURD’HUI

ArtPassions-No.-58 PORTRAIT D’UNE FRANCE D’AUJOURD’HUI
ArtPassions-No.-58 PORTRAIT D’UNE FRANCE D’AUJOURD’HUI
En France, on peut se réjouir du succès du nouveau film de Michel Leclerc, tant les thèmes qu’il aborde s’avèrent délicats. À travers une histoire simple, s’y dessine en effet une peinture fine des paradoxes (et des limites) de la sacrosainte « intégration »… l y aurait deux France en France. Celle d’enhaut et celle d’en-bas. Celle des Parisiens et celle des provinciaux. Celle des Français « de souche » et celle des Français « issus de l’immigration ». Mais on pourrait étendre la liste, tant il semble que le pays de La Fontaine aime collectionner les noms d’oiseaux. Aujourd’hui d’ailleurs, la France se divise plus que jamais entre les porteurs de gilet jaune et ceux de costumes-cravates. Étrange bilan d’étape, pour un pays qui se fonda sur une Déclaration « universelle »… Alors que s’est-il passé ? Et surtout : les Français résoudront-ils ce que Jacques Chirac nomma fameusement la « fracture sociale » ? Seul Michel Leclerc, cinéaste de la satire tendre, paraissait capable de s’attaquer à ces questions insolubles. C’est lui déjà, en 2010, qui avait créé Le Nom des gens – l’histoire devenue culte d’une jeune femme « de gauche » couchant avec des hommes « de droite » pour les faire changer de bord… politique. Face aux sujets dits casse-gueule, un ingrédient se révèle magique : l’humour. La première scène de La Lutte des classes en témoigne avec brio, lorsque Paul, éternel rockeur réchauffé, père de famille et archétype de « bobo » parisien (campé...

En France, on peut se réjouir du succès du nouveau film de Michel Leclerc, tant les thèmes qu’il aborde s’avèrent délicats. À travers une histoire simple, s’y dessine en effet une peinture fine des paradoxes (et des limites) de la sacrosainte « intégration »…

l y aurait deux France en France. Celle d’enhaut et celle d’en-bas. Celle des Parisiens et celle des provinciaux. Celle des Français « de souche » et celle des Français « issus de l’immigration ». Mais on pourrait étendre la liste, tant il semble que le pays de La Fontaine aime collectionner les noms d’oiseaux. Aujourd’hui d’ailleurs, la France se divise plus que jamais entre les porteurs de gilet jaune et ceux de costumes-cravates. Étrange bilan d’étape, pour un pays qui se fonda sur une Déclaration « universelle »…

Alors que s’est-il passé ? Et surtout : les Français résoudront-ils ce que Jacques Chirac nomma fameusement la « fracture sociale » ? Seul Michel Leclerc, cinéaste de la satire tendre, paraissait capable de s’attaquer à ces questions insolubles. C’est lui déjà, en 2010, qui avait créé Le Nom des gens – l’histoire devenue culte d’une jeune femme « de gauche » couchant avec des hommes « de droite » pour les faire changer de bord… politique. Face aux sujets dits casse-gueule, un ingrédient se révèle magique : l’humour. La première scène de La Lutte des classes en témoigne avec brio, lorsque Paul, éternel rockeur réchauffé, père de famille et archétype de « bobo » parisien (campé par Édouard Baer), négocie âprement avec l’agent immobilier chargé de vendre son appartement. Mais non pour augmenter le prix de l’annonce : pour le réduire ! Parce qu’en citoyen éthique, il refuse de profiter d’une quelconque plusvalue, sur le dos de l’infâme inflation immobilière ! Plus réaliste que lui, sa femme Sofia (Leïla Bekhti) le ramènera à la raison.

Car si le couple revend son appartement parisien, c’est pour acheter une maison en banlieue – à Bagnolet ; où le brassage ethnique se ressent davantage que dans le dixième arrondissement. Un véritable rêve socialiste ! Dès son arrivée dans ce paradis de la mixité, notre bon ménage de gauche inscrit son fils à l’école du quartier, publique bien sûr. Sauf que l’enchantement s’interrompt lorsque Corentin revient en pleurs de l’école, parce que
ses nouveaux camarades lui ont expliqué qu’il irait en enfer s’il ne croit pas en Dieu (plus précisément : en Allah). Par surcroît, Paul et Sofia s’aperçoivent vite qu’en dépit de leur bonne volonté, ils demeurent aux yeux des autres parents des bourgeois de la capitale. Sans parler des convictions politiques desdits parents – certes prolétaires, mais réglant leur vie selon des principes traditionnalistes… Dans une scène mémorable, Paul rappelle à sa femme que s’ils n’étaient pas défendus par de « pauvres musulmans dominés », certains propos (comme la défense homophobe du patriarcat, ou de l’éducation des enfants par une mère au foyer), caractériseraient typiquement ceux de la « droite bien blanche » qu’elle exècre…

Le dilemme est posé, et pousse nos héros dans leurs retranchements, au point d’inscrire, la mort dans l’âme, leur fils dans un pensionnat catholique ! Projet qui tombera à l’eau dans des circonstance hilarantes, son directeur découvrant, horrifié, l’une des chansons du groupe de rock de Paul : J’encule le Pape. De tous côtés, les contradictions obligent les personnages de ce conte moderne à délaisser leurs vœux pieux, mais aussi à réinventer leur idéal de vie en communauté. Cela s’appelle peut-être : faire de la politique.

Malicieuse et dénuée d’affects, la mise en scène de Michel Leclerc parvient à réconcilier bien des contraires. Manière de rappeler que, si des communautés s’imposent en dépit du rêve d’intégration à la française, elles peuvent quelquefois s’aimer, se rendre service, et pourquoi pas se sauver la vie – lorsque la burqa déployée d’une héroïque mère de famille se transforme à la surprise de tous en cordeau de secours, pour recueillir le directeur de l’école qui s’effondre. Tout un symbole. Et l’on songe qu’en fin de compte, comme l’écrivit Raymond Aron, que « la seule authentique Révolution ne viserait pas à remplacer un Pouvoir par un autre, mais à renverser, ou du moins à humaniser tous les Pouvoirs ».

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