L’ART DE LIRE

ArtPassions No. 58 Art de Lire
L’AMÉRIQUE EN TECHNICOLOR DE THÉODORE DE BRY S’ils ne posèrent jamais le pied sur le continent américain, Théodore de Bry et ses deux fils entreprirent cependant l’aventure éditoriale la plus folle de leur époque : utiliser des gravures en couleurs pour illustrer les récits des voyageurs égarés chez les « indigènes », aux antipodes du monde connu. Publiée à Francfort-sur-leMain entre 1590 et 1634, cette collection monumentale devait rencontrer un immense succès auprès des Européens et féconder l’imaginaire de bien des artistes ou explorateurs en herbe. Les éditions Taschen ont eu l’heureuse idée de rendre à nouveau accessibles ces images d’un Nouveau Monde plus fantasmé que réel. De la Virginie au Brésil en passant par la Floride, on y croise ainsi des Indiens emplumés tirant à l’art ou naviguant sur des pirogues, des cannibales dépeçant et embrochant leurs victimes avant de les déguster, mais aussi des poissons volants et autres phoques à tête de lion… Au-delà de leur indéniable pouvoir de séduction, ces planches vont nourrir un message idéologique propre à justifier la Conquête et inspirer, pour de longs siècles, les portraits dits « ethnographiques ». Thédore de Bry, America, toutes les planches 1590-1602, texte de Michiel van Groesen, Larry E. Tise, Taschen, reliure en tissu, 28,5 x 39,5 cm, 376 pages. L’ART FUNAMBULE DE MARC CHAGALL « Un homme se propose de dessiner le monde. À mesure que les années passent, il peuple un espace d’images, de figures qui virevoltent, vaches rouges et violonistes sur le toit de maisons...

L’AMÉRIQUE EN TECHNICOLOR DE THÉODORE DE BRY

S’ils ne posèrent jamais le pied sur le continent américain, Théodore de Bry et ses deux fils entreprirent cependant l’aventure éditoriale la plus folle de leur époque : utiliser des gravures en couleurs pour illustrer les récits des voyageurs égarés chez les « indigènes », aux antipodes du monde connu. Publiée à Francfort-sur-leMain entre 1590 et 1634, cette collection monumentale devait rencontrer un immense succès auprès des Européens et féconder l’imaginaire de bien des artistes ou explorateurs en herbe. Les éditions Taschen ont eu l’heureuse idée de rendre à nouveau accessibles ces images d’un Nouveau Monde plus fantasmé que réel. De la Virginie au Brésil en passant par la Floride, on y croise ainsi des Indiens emplumés tirant à l’art ou naviguant sur des pirogues, des cannibales dépeçant et embrochant leurs victimes avant de les déguster, mais aussi des poissons volants et autres phoques à tête de lion… Au-delà de leur indéniable pouvoir de séduction, ces planches vont nourrir un message idéologique propre à justifier la Conquête et inspirer, pour de longs siècles, les portraits dits « ethnographiques ». Thédore de Bry, America, toutes les planches 1590-1602, texte de Michiel van Groesen, Larry E. Tise, Taschen, reliure en tissu, 28,5 x 39,5 cm, 376 pages.

L’ART FUNAMBULE DE MARC CHAGALL

« Un homme se propose de dessiner le monde. À mesure que les années passent, il peuple un espace d’images, de figures qui virevoltent, vaches rouges et violonistes sur le toit de maisons paysannes, personnages aux têtes détachées ou renversées, rabbins au visage vert, couples d’amoureux qui s’envolent, coqs et ânes qui habitent le ciel, morts allongés au milieu d’un village, nouveaunés affublés d’une barbe… ». Sous la plume poétique et vagabonde du critique d’art Itzhak Goldberg, l’univers tendre, cocasse et ironique du peintre russe Marc Chagall renaît au fil des pages de cette imposante monographie publiée aux éditions Citadelles & Mazenod. Transcendant toutes les écoles du XXe siècle (« il n’est ni cubiste, ni abstrait, ni franchement surréaliste »), ce funambule à cheval sur plusieurs cultures a créé un univers onirique et absurde réconciliant culture yiddish, art populaire russe, judaïsme et christianisme. Aux yeux des critiques d’art, la seule erreur de Marc Chagall fut peut-être de céder, en plein XXe siècle, aux séductions de la narration… Si elle ne prétend pas révéler tout sur l’artiste, cette somme érudite et accessible tout à la fois décrypte fort joliment les symboles et prouesses visuelles de ce magicien en apesanteur. Pour le peintre Gérard Garouste, il est aussi et surtout cet artiste inclassable qui assume la place de l’émigré « déplacé géographiquement et historiquement, un pied dans l’histoire de l’art, un pied hors-cadre ». Chagall, par Itzhak Goldberg, Citadelles & Mazenod, Collection « Les phares », relié et toilé sous jaquette et coffret illustrés, 27,5 x 32,5 cm, 384 pages, 390 illustrations.

COURBET PAR LE BOUT DU CRAYON !

Les poètes ont parfois plus de flair que les historiens de l’art ! Le mérite revient à Louis Aragon d’avoir publié en 1952 les dessins de Gustave Courbet, jusqu’ici connus d’une poignée d’amateurs. Collectionnées par Henri Matisse ou Émile Chambon, les œuvres sur papier du chef de file de l’école réaliste étaient en effet ignorées, voire dédaignées. Sur fond de querelles d’authenticité et d’attribution, Les Cahiers dessinés – une remarquable petite maison d’édition qui a fêté il y a peu ses dix ans – ont eu l’heureuse initiative de mettre en lumière cette discipline à laquelle le grand peintre français s’adonna tout au long de sa carrière. Exécutés au fusain, au crayon noir ou au graphite, parfois rehaussés à la craie blanche ou à la gouache, les dessins de Courbet s’avèrent, il est vrai, de qualité d’exécution variable. Selon l’historien de l’art Niklaus Manuel Güdel qui a dirigé ce savant ouvrage, ces œuvres ébauchées tantôt sur du papier d’emballage, tantôt réalisées sur des vergés ou de précieux vélins, obéissaient à des destinations diverses : études académiques, croquis de voyages, esquisses accompagnant le travail pictural, œuvres d’art à part entière. Alors que l’on célèbre trop timidement le bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet (1819-1877), ce joli ouvrage est à glisser entre les mains de tous les amateurs de dessins ! Courbet, Les dessins, Les Cahiers dessinés, ouvrage collectif de 21 auteurs, préface de Louis-Antoine Prat, 376 pages.

LA DIGNITÉ RETROUVÉE DU MODÈLE NOIR

« Nègre », « Négresse », « mulâtresse »… C’est par ces appellations vagues et souvent teintées de mépris que l’on désigna pendant des siècles les modèles d’origine africaine ou caribéenne qui posèrent pour les plus grands artistes européens des XIXe et XXe siècles. Accompagnant la passionnante exposition qui se tient au musée d’Orsay jusqu’à la fin du mois de juillet, ce superbe catalogue redonne enfin une identité et une histoire à ces hommes et ces femmes trop souvent relégués au rang de figurants, voire de faire-valoir. Grâce à une iconographie exceptionnelle et des textes inspirés, ces personnages romanesques reprennent ainsi corps et âme sous nos yeux et dressent le tableau passionnant d’une France et d’un Paris bien plus « exotiques » qu’il n’y paraît. Parmi ces « transfuges aux destins si divers », on croise ainsi des nourrices, des danseuses, des comédiens, des boxeurs, des acrobates, des lutteurs, des artistes de cirque, des modèles professionnels, mais aussi et surtout des compagnons soudain familiers qui ont pour nom Jeanne Duval (l’amante de Baudelaire), Chocolat (le célèbre clown), Laure (dont il faut probablement reconnaître les traits dans la servante de l’Olympia de Manet), ou bien encore Joséphine Baker, l’amie des surréalistes. De Géricault à Matisse, en passant par Le Douanier Rousseau, ce voyage pictural est aussi une belle leçon d’humanité… On prolongera cette lecture par l’émouvant récit de l’écrivain Marie NDiaye inspiré par la vie de « Marie l’Antillaise » – en réalité la chanteuse Maria Martinez originaire de La Havane, rendue célèbre par le magnifique portrait photographique de Nadar. Le modèle noir, De Géricault à Matisse, coédition Musée d’Orsay/Flammarion, ouvrage collectif, 22,9 x 31,2 cm, 384 pages. Un pas de chat sauvage, Marie NDiaye, coédition Flammarion/ Musées d’Orsay et de l’Orangerie, 15,4 x 22,4 cm, 48 pages.

LE TEMPS SUSPENDU DE JEAN-BAPTISTE HUYNH

Le doux visage d’une petite fille à la longue natte, l’élégance altière d’un paon couronné d’une aigrette, le sourire muet d’un Bouddha de bronze, l’orbe d’un miroir, le scintillement d’une planète ou d’une étoile… Les photographies de Jean-Baptiste Huynh sont des petits miracles de poésie, des instantanés de grâce, des parenthèses en suspension. Le sang vietnamien qui coule dans ses veines a-t-il distillé en lui cette propension au silence, cette inclination à la méditation ? Nullement anecdotiques, encore moins « exotiques », ces « Infinis d’Asie » (pour reprendre le titre du très bel album qui accompagne l’exposition du musée Guimet) révèlent l’âme sensible de ce magicien de la lumière dont les portraits traversent sans encombre les modes et les décennies. Mais que cherche le photographe si ce n’est, selon l’essayiste Gabriel Bauret, « saisir dans le visage de l’autre quelque chose qui le renvoie à sa propre identité ? » C’est aussi et surtout un éloge de la Beauté dans ses manifestations les plus intimes et les plus pures, une caresse de rêve, un enchantement… Infinis d’Asie, Jean-Baptiste Huynh, textes de Sophie Makariou, Jean-Baptiste Huynh, Maria Morris Hambourg et Gabriel Bauret, Skira, 29 x 29 cm, 192 pages, 120 illustrations.

JEAN-MICHEL FRANK ET PIERRE JEANNERET: QUAND LE DESIGN DEVIENT ŒUVRE D’ART

Il fallait tout le raffinement des éditions Assouline pour ressusciter dans un imposant livre-coffret le destin de ce designer de génie que fut JeanMichel Frank. Délaissant la vie dilettante d’un jeune homme de bonne famille, ce fils de banquier devient, à l’aube des années vingt, le décorateur attitré de l’intelligentsia parisienne et des artistes qui gravitent autour de la planète surréaliste. Cassant les codes des intérieurs bourgeois pour leur préférer le dépouillement et la sobriété, Frank fait respirer les lieux par un choix de lignes pures et de tonalités neutres. En feuilletant les pages de ce magnifique ouvrage, on reste subjugué par le caractère avant-gardiste de ses créations : tables basses en forme d’U inversé, marqueteries de paille blonde tapissant les consoles et les paravents, usage du granit gris foncé ou du maroquin ivoire… Parmi ses clients les plus célèbres, on compte ainsi le couple de mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles. Évoquant le fumoir de leur hôtel particulier parisien situé dans le XVIe arrondissement, Yves Saint Laurent en personne parlera de « huitième merveille du monde »… Tissant des collaborations artistiques avec des grands noms de son époque (les frères Alberto et Diego Giacometti, Christian Bérard et même Salvador Dali !), Jean-Michel Frank finira par s’exiler à New York en janvier 1941. Le 8 mars de la même année, il se jette de la fenêtre d’un building, « traçant ainsi sa dernière ligne droite » selon le mot de l’architecte Andrée Putman qui l’admirait… On complétera cette belle promenade dans le design en se plongeant dans cet autre volume des éditions Assouline consacré à Pierre Jeanneret. Infiniment moins célèbre qu’un autre membre de sa famille, l’architecte français Le Corbusier, il n’en dessina pas moins les meubles des bâtiments tant publics que privés de la ville futuriste de Chandigarh, en Inde, dessinée par son illustre cousin. Là encore, la modernité de ses créations laisse pantois ! Jean-Michel Frank, texte de Laure Verchère, introduction de Jared Goss, éditions Assouline, 31 x 39 cm, relié sous coffret, 300 pages, 200 illustrations. Catalogue raisonné du mobilier Jeanneret Chandigarh, par Jacques Dworczak, éditions Assouline, 30 x 37 cm, 360 pages, plus de 400 illustrations.

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